lundi 22 juin 2009

HADOPI et compagnie

Je suis avec interêt les discussions autour de la loi Hadopi. J'avoue lire avec délectation les commentaires sur Clubic, ZDnet ou Tom's Guide, en particulier quand les participants se moquent à juste titre très souvent de l'ignorance technique des personnes en charge du dossier. Il y aussi des commentaires moins drôles, en particulier ceux qui justifient le piratage et ceux qui confondent politique et justice (ou justesse, pour employer un moins grand mot). La confirmation de cette direction par Sarkozy Lundi dernier, "j'irai jusqu'au bout", a évidemment soulevé une vague de commentaires principalement anti-Sarkosistes.

Entendons-nous bien: je n'ai aucune sympathie ou antipathie envers Sarkozy. Mais force est de constater qu'il se fonde sur des principes élémentaires.

Laisser faire un piratage massif est forcément nuisible aux créateurs, parce que cela les ampute mécaniquement d'une partie de leurs revenus.

Le fait que lesdits créateurs soient déjà riches ou que les diffuseurs s'accrochent à une affaire "juteuse" ne change rien au fait que sur le fond, la copie illégale est un vol. Il serait incensé de justifier auprès d'un juge que votre larcin n'en est pas un puisque vous avez volé dans une boutique Dior. Et gageons que son jugement sera identique que vous ayez volé un foulard dans une boutique Dior ou dans le supermarché du coin.

Le pire est que les pirates, quand bien même ils invoquent cette excuse lamentable, ne font sans doute pas preuve d'un tel discernement dans les faits. A force de se convaincre du bien-fondé de la justesse de leurs excuses, certains finissent par mettre tout les créateurs dans le même panier et copient sans remord (et parfois sans le savoir) l'artiste auto-produit qui a joué son va-tout dans l'aventure.

La nature immatérielle de certaines catégories d'oeuvres (musique, livre, film, logiciel, ...) rend insoluble le problème de l'interdiction ou de la limitation de la copie: ces oeuvres doivent nécessairement être produites pour vraiment exister, et donc il existera toujours un moyen de les re-produire. La culture elle-même est basée sur cette transmission. Tout dispositif de vérrouillage ou de limitation est voué à l'echec. 

Le fait que les règles usuelles de la société ne s'appliquent pas sur Internet est un vrai problème, dont la cause est l'anonymat qui conduit à l'irresponsabilité. Les internautes en subissent eux-mêmes tous les jours les désagréments: trolls, spam, mauvaise conduite sur les forums et les "chats". Cela peut prendre une tournure nettement plus malsaine quand des adultes s'incrustent sur des sites fréquentés par des enfants ou des adolescents.

Cela dit, vrai, la loi HADOPI est mal ficelée et probablement vouée à l'échec. Le fait que le conseil constitutionnel l'ait censurée pour des raisons évidentes pour tout un chacun est bien le signe qu'elle est partie sur de mauvaises bases juridiques. A cela s'ajoute la loi contraire qui a été votée au niveau européen. Comme si cela ne suffisait pas, elle est aussi fondée sur de mauvaises bases techniques: elle vous rend responsable de la protection de votre ordinateur, et est censée vous donner les moyens de le faire par le biais d'une certification de logiciels de sécurité. Or, il se trouve que sur un plan théorique, aucun logiciel de sécurité (anti-virus, pare-feu) ne peut être fiable à 100%. Et c'est encore plus vrai, comme on le sait, du simple fait des défaillances techniques (bogues, failles de sécurités).

Les gens se sont beaucoup moqués et scandalisés du principe de l'identification par adresse IP. Cependant, cela me paraît être la voie à suivre, car comme je l'ai dit l'anonymat est le coeur du problème.

Je reprendrais l'analogie un peu vieillote des autoroutes de l'information; après tout, la route est un autre domaine où le français aime à pratiquer le délit occasionnel ou quotidien, pour lequel il a également toujours une très bonne excuse.

Il est admis et reconnu par tous que Internet est une place virtuelle, mais aussi publique, à l'instar d'une route. Ce qu'on y écrit, peut être lu la plupart du temps par n'importe qui. Avec une bonne maîtrise de Google, vous pouvez amasser pas mal d'informations sur une personne qui ne fait pas trop attention. En fait, c'est comme prendre quelqu'un en filature, sauf que la personne n'a aucune chance de vous repérer.

Le piratage est comme un excès de vitesse: faire une pointe à 110 sur une route de campagne dégagée est un peu comme (le risque vital direct mis à part) envoyer une copie d'un CD à un ami pour lui faire découvrir un artiste. C'est une petite entorse si finalement, celui-ci n'aime pas et l'efface, ou au contraire aime et achète le dernier album, ou encore n'en garde qu'un morceau. Faire commerce de DVD pirates par lots de cent s'apparente (toutes proprtions gardées) à doubler sans visibilité en coupant une ligne blanche.

La sécurité routière ne pourrait pas fonctionner sans gendarmes, radars automatiques et surtout les plaques d'immatriculation, qui permettent l'identification, et qui sont d'ailleurs elles-mêmes protégées par la loi.

L'usage d'Internet devrait donc être parfaitement identifiable si besoin par "la police du net". Cela n'est pas si choquant, tant que les limites posées dans la vie réelle s'appliquent également à la vie virtuelle (protection de la correspondance privée, vidéo-surveillance réglementée, écoutes soumises à l'approbation d'un magistrat, etc.). Cela pourrait même être bénéfique aux internautes, si cela sert aussi à endiguer le spam, à contrer les escrocs, à refroidir les hackers du dimanche, à repérer les pédophiles passant à l'acte, etc. Utiliser l'adresse IP est une voie possible, à condition de la protéger de manière à ce qu'elle soit fiable.

Quelle que soit la méthode, une telle identification informatique pose le problème sérieux et de plus en plus aigu de la possiblité d'abus de toutes sortes dans des proportions jamais vues. Il est probable que nous vivons la période où se définit la vie sociale électronique de demain; cela pose des problèmes technico-juridiques inédits et ardus. La loi HADOPI est trop maladroite et trop simpliste pour être une bonne solution.


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